Histoire de la danse africaine

LE CHEMIN DE LA DANSE AFRICAINE
La danse africaine est devenu aujourd'hui une danse à part entière, pratiquée dans le monde entier, enseigné par des professeurs qui ne sont pas toujours africains. Quel chemin a-t-elle parcouru à travers les siècles, par quelles méandres est-elle passée pour se frayer un passage dans la culture occidentale? Quelle fut son évolution et quels effets, quelles conséquences cela suppose, tant sur le plan chorégraphique que sur le plan culturel et socio-culturel en général? La culture étant considérée comme:
” l’expression de la sensibilité d’une société, dans un contexte socio-économique et politique donné; cette sensibilité
supposant des comportements individuels et collectifs particuliers”. La danse farinacé n’est-elle pas devenu, à son tour, sinon la cause, du moins le véhicule de beaucoup d’évolution et pourquoi pas, à plus long terme, de changement qui dépassent le cadre purement chorégraphique?

La mutation
Déjà, au moment de la création des ballets dans les pays d’obédience marxiste, la danse et la musique étaient utilisées pour servir et véhiculer une idéologie politique. Lorsque les africains ont commencé à faire connaître leur art en Occident et que, réciproquement, les occidentaux ont montré un engouement croissant pour la danse et la musique africaines (pour des raisons principalement psychologiques, notamment la recherche de formes nouvelles d’expression culturelles et le besoin de libérer une énergie vitale emprisonnée dans le carcan édifié par la religion judéo-chrétienne - sur ce dernier point, il faut d'ailleurs souligner que l'aspect "exotique" a joué un rôle non négligeable), on peut dire qu’il s’est produit simultanément deux effets :
- Le premier, c’est la rencontre de deux mondes qui a permis un enrichissement mutuel, une meilleure connaissance réciproque et donc un plus grand respect de part et d’autre. En effet, au-delà du phénomène musical, il s'agit également d'une rencontre sur le plan humain.
- Le second, c’est que le regard nouveau des occidentaux sur l’Afrique à travers sa musique (et, de manière générale, sa culture) a fait naître chez les africains une prise de conscience de leurs propres valeurs culturelles. C’est ainsi qu’a émergé parmi eux le concept occidental de "culture" ou, tout au moins, de discours culturel.
Les deux mondes se sont rencontrés avec l’un pour l’autre des regards différents : les occidentaux sont attirés par la dimension traditionnelle de l’Afrique, tandis que les africains le sont par la modernité de l’Occident.
On est passé de l’universalité propre aux danses et aux musiques traditionnelles, à l’internationalité. Celles-ci ont, en quelque sorte, perdu le lien exclusif qu'elles entretenaient, sinon avec la dimension symbolique et sacrée, du moins avec la réalité culturelle, avec leur force créatrice, pour se transformer peu à peu en une valeur matérielle, donc quantifiable et monnayable.

La transmission du savoir
Grand clivage de la transmission du savoir et de la connaissance :
- En Afrique
La transmission du savoir et de la connaissance se fait par mimétisme et “immersion”. On ne “montre” pas en détaillant les notes, les figures rythmiques. L’apprenti doit se débrouiller seul et, par le fait d’une sélection quasiment naturelle, seuls les plus motivés arrivent à apprendre et à comprendre. Chacun progresse à son rythme. En outre, le temps d’apprentissage importe peu car l’apprenti est intégré à la cellule familiale de son maître.
L’apprenti moins doué que les autres devient “accompagnateur” s’il ne ne peut accéder au rôle de “soliste”. Toutefois, cela n’est pas vécu comme un échec mais bien comme une complémentarité de fonction au sein d’une entité (sociale, familiale, musicale) où chaque individu a la place qui lui convient vraiment, en fonction de ses moyens techniques et psychologiques.
L’enseignement n’est pas rémunéré mais l’apprenti doit rendre des services d’ordres familiaux et sa présence comme accompagnateur lors de cérémonies permet au maître de disposer, à souhait, d’un accompagnateur non rémunéré.
L’apprenti devient plus un fils qu’un élève, un parent, intégré à la vie communautaire. L’apprentissage n’est jamais dissocié de son contenu culturel ; autant dans le domaine “sacré” que “profane”. Il a une valeur à la fois symbolique et cosmique car il est relié aux grands secrets de la cosmogonie africaine. L’enseignement de la musique, comme beaucoup d’autres disciplines, est un “tout” où tous les aspects nécessaires à l’apprentissage de la vie en société sont abordés, un peu à la manière des Compagnons du Devoir dans l’Europe du Moyen-Age. On y apprend un métier mais également un mode de vie.
- En Occident
Le temps est compté et l’apprentissage se fait à base de programmes, avec une certaine distance entre le maître et l'élève. L’argent (vecteur anonyme) sert de valeur d’échange. La relation et la communication sont réduites à leur plus simple expression. La musique devient écrite et le musicien perd son “corps” pour devenir “esprit”. La réhabilitation du corps dans la pédagogie moderne est très récente - à peine une vingtaine d’années. L’enseignement est devenu une accumulation de signes sur un papier, qui s’adresse à l’esprit, et une appréciation à la fois subjective et romantique de la forme.
- La relation à la cosmogonie
Influence de la médiatisation
Malgré tout, la médiatisation a permis la rencontre de deux mondes, deux sensibilités différentes, découlant de deux rapports différents au temps et à l’espace.
Les Africains veulent “avoir”, “posséder” et les Occidentaux, blasés de tout avoir, veulent “être”. Beaucoup se tournent vers l’Afrique ou les cultures traditionnelles (quand ce n’est pas vers les sectes ou les religions exotiques) du fait de la crise morale et spirituelle dont ils souffrent. Méticuleux, laborieux et organisés, ils se chargent de restituer, de sauvegarder le patrimoine africain, conscient d’avoir de vrais joyaux entre les mains et les oreilles. Ils enregistrent, répertorient, notent, cataloguent, classent les rythmes et les polyrythmies.

Les méandres de l'histoire
- Danses africaines ou danses d’Afrique ?
Le terme de “danses africaines” reste imprécis et inexactn, comme si l’on considérait possible de réduire l’Afrique à une entité homogène. L’Afrique est un continent avec une multitude de cultures différentes. Le terme “danses d’Afrique” ne serait-il pas plus approprié ?
- Danses traditionnelles ?
On entend par tradition : “la transmission d’informations de génération en génération” (Dic. Petit Robert). Cependant, la tradition est en perpétuel mouvement. Elle subit les multiples influences des rencontres entre les peuples, au gré des méandres de l’histoire. De même, les danses africaines sont l’objet d’incessantes transformations.
- Le danseur africain est il “maître” ? (Bientôt disponible)
- Une certaine mystification
Les vingt premières années de l’apparition de la danse africaine en France furent placées sous le signe d’une certaine mystification. En perte de repères et en forte demande d’exotisme, de “vraies valeurs naturelles et premières”, prisonniers de leur vision caricaturale de l’Afrique et des africains teintée d’humanisme ou de relents néo-colonialistes (frontière fragile s'il en est), empêtrés dans un corps à l'éducation rigide, les européens établirent une relation passionnelle avec les premiers danseurs africains venus en France, leur conférant une place de maîtres spirituels, voire même de gourous et quelquefois de pères.
- De la pitié au rejet
Jusqu’à une époque récente, l’africain "faisait pitié", il fallait “l’aider” ou "l’assister", selon les principes du bon sauveur judéo-chrétien et sa propension expiatrice à sauver le monde du mal et de l’ignorance... "Le militantiste expiatoire" (4), coupable de la colonisation, se devait de lui venir en aide. Le bon samaritain européen pouvait alors expier la faute impardonnable de ses pères, se racheter d’un passé affligeant et aider la pauvre Afrique à sortir de sa misérable condition tiers-mondiste. Sans oublier au passage, avec la plus cynique hypocrisie, de faire mains basse sur ses matières premières ! "Nous autres, Européens, avons été élevés dans la haine de nous-mêmes, dans la certitude qu'au sein de notre culture un mal essentiel exigeait pénitence. Ce mal tient en deux mots : colonialisme et impérialisme" (4).
Depuis peu, suite à l’extrême médiatisation des conflits sanglants de la Somalie, du Rwanda, du Zaïre et du Congo, l’africain fait peur. La transe a tourné au drame et ne fait plus sourire. Les images terrifiantes des massacres et des miliciens armés de mitraillettes ou de machettes ont achevé les dernières pulsions salvatrices d'un Occident toujours prêt à prononcer une condamnation définitive. Peut-être faut-il y voir la raison pour laquelle depuis quelques années, le marché des spectacles africains s’est complètement effondré. L’Afrique n’intéresse plus, elle fatigue, elle horrifie, elle désespère. Parallèlement et paradoxalement, les cours de djembé et danse ne désemplissent pas. Faut-il y voir une contradiction ou une logique implacable ? En fixant les rythmes africains dans les livres, en mettant la percussion africaine dans les classes, les européens et leur indéfectible inconscient impérialiste, ne sont-ils pas en train de s’approprier la culture africaine et d’évincer les africains qui finissent par les déranger. Au fond, le djembé ou le tambour et la danse africaine, à l'instar des puits de pétrole, de la bauxite, de l'uranium et autres diamants, n'ont qu'un seul défaut : celui d'être africains ! N’est-ce pas pour des raisons d'appropriation que les européens se targuent, inconsciemment, de sauver la danse africaine en la réduisant à des pas ? Les européens auraient-ils intérêt à ce que les africains, détenteurs du savoir mais éprouvant des difficultés à transmettre une connaissance, restent à l’écart du processus de reconnaissance ?
Il ne faudra pas s'étonner que les africains soient tentés de resserrer les rangs, de former des clans interdits aux "blancs" et de se réunir autour du concept de "négrité" pour résister au clivage.
- Le bégaiement de l’histoire
Cette situation est extrêmement perverse car, à long terme, elle peut entraîner des comportements racistes de la part des deux parties et tomber dans la formidable injustice de nier l’identité africaine, sa spécificité, ses qualités pour ne voir que les défauts des artistes qui peinent à s’intégrer.
D’autre part, les africains, destabilisés, ont le sentiment qu’on leur vole leur art, leur culture. Ils ressentent cette situation comme un bégaiement affligeant de l’histoire. Ils se sentent spoliés sans bien comprendre les tenants et les aboutissants (manque de formation donc de recul). D’autre part, ils font peu d’efforts pour s’intégrer (combien ont fait la démarche de s’alphabétiser à leur arrivée en France ?) et se laissent souvent aller à la facilité et au laxisme - attitudes qui n'étaient pas les leurs en Afrique, où la discipline et la rigueur sont draconiennes.
Ce sentiment est exacerbé par des pseudo-intellectuels africains cautionnés par des institutions complaisantes ou mal informées, qui, avec des doubles discours, entretiennent avec cynisme la mystification ambiante. Une sorte de formidable “omerta” où l’on ne doit rien dire, ne pas dévoiler les secrets de la réalité, comme un réflexe de survie face à l’ancien colonisateur blanc (les Mandingues ont-ils oublié qu'en son temps l'empire du même nom, avec à sa tête "le Napoléon africain" Soundjata a allégrement colonisé toute l'Afrique de l'Ouest ! Le vivent-ils avec une quelconque culpabilité ?). Sans compter les pionniers qui ont souvent tendance à verrouiller le secteur sur la base du très africain “droit d’aînesse”, qui cache en fait les inévitables et ô combien humaines velléités de pouvoir et de réussite personnelles teintées d’opportunisme.

Le courant de la danse africaine
En France
ce que l’on entend par “danse africaine” est un courant chorégraphique relativement récent, apparu de façon significative dans les années 70 à Paris et véhiculé par des africains francophones issus des anciennes colonies françaises - Afrique de l’Ouest : Guinée, Sénégal, Mali, Côte d’Ivoire, Burkina Faso (fortement influencé par la culture Mandingue), Bénin, Togo (influencé de culture Yorouba) ; Afrique Centrale : Zaïre, Congo (influencé par la culture Bantou) - venus pour étudier, pour des raisons politiques ou plus simplement pour travailler.

Au Royaume-Uni (bientôt disponible)
Le déplacement du savoir
Tributaires de la mystification, les informations réalistes et objectives commencent seulement à émerger. Comme évoqué précédemment, la plupart des danses "africaines" étaient issues du filtre des ballets inter-ethniques, résidant principalement (pour les plus grands) dans les capitales. Il s’en suit une double désolidarisation : les grands danseurs sont appelés à résider en ville et perdent le contact avec le village, source d’inspiration première, par ailleurs, pour des raisons pratiques, les nouveaux danseurs sont recrutés en zone urbaine.

Le phénomène Elsa Woliaston, Koffi Kôkô, Germaine Acogny (bientôt disponible)

Le dilemme du danseur expatrié
Les grands danseurs africains qui vivent en Europe jouissent d’une position sociale enviée.

Clivage entre “danseurs de ballet" et "danseurs populaires”
Il y a une trentaine d’années, avec les indépendances, apparaissaient en Afrique les premiers ballets nationaux qui allaient regrouper (le plus souvent dans la capitale) les meilleurs danseurs et percussionnistes issus des villages et des régions reculées, dont la mission était de représenter l’identité culturelle des jeunes nations. Habitués aux cérémonies populaires, ils devinrent, par la force des choses, des professionnels aguerris qui durent adapter leur jeu à la chorégraphie et à la
mise en scène des ballets. Naquit alors un clivage qui détermine la façon d’appréhender la danse collective ou personnelle, et qui conditionne le comportement social et la façon de penser la danse.

Facteurs psychologiques
Interviennent également des aspects psychologiques, des comportement caractéristiques, liés à l’habitude du travail en groupe : modestie, calme, patience, contrôle de soi et, à l’inverse, le travail débridé en cérémonies populaires développe le goût du spectaculaire, l’orgueil, l’égocentrisme et parfois même l’agressivité. Dans les ballets, le nouveau venu doit se placer sous l’autorité et la protection d’un ancien. Il apprend ainsi à connaître sa place au sein du groupe et dans son environnement social. Le fait d’appartenir à une communauté d’artistes lui permet de s’élever socialement, de sortir de l’anonymat, de bénéficier d’un réseau d’amitiés dans une certaine ambiance conviviale.


Les grands courants

Dans la pratique de la danse africaine, on peut distinguer trois grands courants issus des péripéties de l’histoire :

1) Courant de l’axe Bamako (Mali), Bobo Dioulasso (Burkina Faso), Bouaké et Abidjan (Côte d’Ivoire)

2) Courant guinéen

3) Courant de la mouvance internationale

LE COURANT GUINEEN
Depuis toujours, la Guinée a eu la réputation d’être un pays qui aime les arts et les artistes, et cette réputation est bien antérieure à l’indépendance.
En 1958, Ahmed Sékou Touré tournait le dos à l’Europe et, durant 26 ans, rares furent les occasions d’apprécier les artistes guinéens des ensembles nationaux en Europe de l’Ouest. Ces artistes bénéficiaient d’un statut social privilégié car le “Chef suprême de la révolution” avait décrêté que la culture et les arts seraient les fers de lance de la révolution et qu’ils serviraient à véhiculer l’idéologie du moment. Des ensembles prestigieux furent créés, tels les Ballets Africains, le Ballet Djoliba, l’Ensemble Instrumental et Choral, qui sont encore aujourd’hui la fierté du pays. Les artistes étaient recrutés parmi les meilleurs des différentes régions, puis formés à la dure école des ballets nationaux. Ces ensembles formeront des artistes d’un niveau technique exceptionnel et
l’encadrement strict dans lequel ils baigneront les préparera à devenir les grands professionnels que nous connaissons aujourd’hui.
- Découverte de l’école guinéenne
- Les grandes influences chorégraphiques
- Le style guinéen
- L’idéologie marxiste dont le postulat fondateur était la vie communautaire et le collectivisme
- Les grands danseurs guinéens

LE COURANT DE LA MOUVANCE INTERNATIONALE
Ces deux grandes écoles ont fait des émules et l'on trouve aujourd’hui dans le monde entier des danseurs qui en sont issus.
- Le style de la mouvance internationale
Ce style est totalement hybride et influencé par les différents courants, avec l’apport de la culture et de la pratique.

LA DANSE AFRICAINE AUJOURD’HUI
PERSPECTIVES
Avec ce bilan très positif, la danse africaine pourrait prendre en Europe sa vitesse de croisière.
Dans le monde occidental, les cours, stages, écoles, spectacles et animations se sont multipliés.
- Le retour de la médiatisation internationale
- Le diplôme de danse africaine
- Un véritable courant chorégraphique
Toute cette effervescence prouve l’immense richesse de ce qui ressemble de plus en plus à un véritable courant chorégraphique et la danse africaine, art longtemps ignoré, vient à peine de nous livrer ses premiers secrets.

EN FRANCE : QUELQUES REPERES
- La nouvelle génération